Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’enfance de M. des Touches. Ils se tutoyaient. Homme simple et modeste, il n’avait qu’une prétention à une seule chose, mais il la poussait à l’excès : c’était de jouer au billard mieux que qui que ce fût.

Il venait souvent à la préfecture, n’y passait jamais moins de trois ou quatre jours et y gaspillait tout son temps à jouer au billard du matin au soir avec le comte d’Houdetot, très fort amateur également. On jouait la partie à écrire et toujours de vingt ou quarante francs ; le marqué était de cent points. M. Dumanoir n’en pouvait pas gagner un seul, et, plus il perdait, plus il s’acharnait, comme cela se pratique d’ordinaire ; puis la mauvaise humeur et les nerfs s’en mêlant, il jouait tout de travers, finissait par se fâcher, et dans son courroux, jetait sa queue sur le billard, en disant au colonel d’Houdetot : « J’ai perdu, mais vous n’en êtes pas moins une mazette, un massacre. »

Le colonel riait, et on recommençait de plus belle, après le déjeuner et après le dîner, car le jeu n’était jamais interrompu que pendant l’heure des repas, et ces messieurs y mettaient tant d’action, que la sueur ruisselait sur leur front, malgré qu’ils eussent ôté leurs cravates, leurs gilets, leurs habits, et même leurs bretelles ; ils étaient vraiment curieux dans leur acharnement comique. On a tort de mettre ainsi de l’amour-propre et de l’entêtement au jeu.

M. Dumanoir arrivait toujours avec une énorme bourse et les poches remplies de napoléons, et lors-