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la vie aux galères

de Marseille.[1] On nous mit tous les 22 sur la galère nommée la Grande Réale, qui servait d’entrepôt aux nouveaux venus et infirmes des trente-cinq galères, qui étaient pour lors dans le port de Marseille. Ces nouveaux venus n’y restent que peu. On les partage bientôt sur les autres galères, mais nous 22 ne fûmes pas partagés, parce qu’on comptait que les six chiourmes de Dunkerque reviendraient à Marseille et qu’on nous remettrait alors chacun sur les galères d’où nous étions sortis. Nous grossîmes donc le nombre de nos frères qui se trouvaient sur cette Grande Réale, si bien que nous y étions au delà de quarante réformés. Ces chers frères nous reçurent avec embrassements et larmes de joie et de douleur tout ensemble.

Deux ou trois mois se passèrent depuis notre arrivée à Marseille sans qu’il nous arrivât rien de particulier. Pendant le Congrès d’Utrecht pour la paix générale, nous vivions en espérance que cette paix nous procurerait notre délivrance. Nous savions que les puissances protestantes s’y intéressaient fortement. Mais la France n’en voulant point entendre parler, la paix se conclut sans faire mention de nous. Le marquis de Rochegude[2], gentilhomme français, réfugié chez les louables cantons suisses, et qui avait été envoyé de la part desdits cantons à Utrecht, pour solliciter la faveur des pauvres confesseurs sur les galères de France, voulut tenter de frapper un dernier coup. Avec des peines et des fatigues surnaturelles à son grand âge, il part d’Utrecht pour le Nord, obtient du roi de Suède, Charles XII, une lettre de recommandation à la reine d’Angleterre, une de même des rois de Danemark, de Prusse et de divers princes protestants, des États généraux

  1. Sur 369 forçats qui composaient la chaîne de Paris arrivée à Marseille le 3 janvier 1712, il en était mort 54 en route (Archives de la Marine, B6 105). La chaîne arrivée le 16 janvier 1713 au soir en avait perdu 13 sur un effectif de 280. 50 malades entrèrent à l’hôpital (Archives de la Marine : B6 106).
  2. Le marquis de Rochegude, incarcéré à la citadelle de Montpellier, puis à Pierre-Cise, s’était réfugié à Vevey. Il se dévoua à la cause des émigrés réformés. (Bulletin de la Société d’histoire du protestantisme français, XVII, 353-373.)