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Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/63

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les galères de dunkerque

ayant avancé ainsi leur rame, ils relèvent pour la frapper dans la mer et du même temps se jettent, ou plutôt se précipitent en arrière, pour tomber assis sur leur banc, qui, à cause de cette rude chute, est garni d’une espèce de coussinet. Enfin, il faut l’avoir vu, pour croire que ces misérables rameurs puissent résister à un travail si rude ; et quiconque n’a jamais vu voguer une galère ne se pourrait jamais imaginer, en le voyant pour la première fois, que ces malheureux pussent y tenir une demi-heure, ce qui montre bien qu’on peut, par la force et la cruauté, faire faire pour ainsi dire l’impossible. Et il est vrai qu’une galère ne peut naviguer que par cette voie et qu’il faut nécessairement une chiourme d’esclaves, sur qui les comites puissent exercer la plus dure autorité, pour les faire voguer, non seulement une heure ou deux, mais même dix à douze heures de suite. Je me suis trouvé avoir ramé à toute force pendant vingt-quatre heures sans nous reposer un moment. Dans ces occasions, les comites et autres mariniers nous mettaient à la bouche un morceau de biscuit trempé dans du vin, sans que nous levassions les mains de la rame pour nous empêcher de tomber en défaillance. Pour lors, on n’entend que hurlements de ces malheureux, ruisselant de sang par les coups de corde meurtriers qu’on leur donne. On n’entend que claquer les cordes sur le dos de ces misérables. On n’entend que les injures ou les blasphèmes les plus affreux des comites, qui sont animés et écument de rage, lorsque leur galère ne tient pas son rang et ne marche pas si bien qu’une autre. On n’entend encore que le capitaine et les officiers majors crier aux comites, déjà las et harassés d’avoir violemment frappé, de redoubler leurs coups. Et lorsque quelqu’un de ces malheureux forçats crève sur la rame, comme il arrive souvent, on frappe sur lui tant qu’on lui voit la moindre vie, et lorsqu’il ne respire plus, on le jette à la mer comme une charogne, sans témoigner la moindre pitié.

Une chiourme d’hommes libres des plus robustes et des mieux dressés au travail de la rame ne pourrait y tenir. J’en ai vu l’expérience. En l’année 1703, on fit faire à