Comment décrire ici, si ce n’est par la simple énumération des différents panneaux du tableau ?
Sur des pitons rocheux en forme d’obélisques, de champignons, de pyramides, séparés par des ravines de 100 mètres de profondeur et plus, subsistent les ruines d’une petite redoute inexpugnable, bâtie au Moyen Âge par quelque hobereau, et celles de l’ermitage ; les cellules, le système de construction, les ornements en arêtes de poisson et la disposition en encorbellement des assises qui forment la voûte de l’abside, dénotent l’origine carlovingienne de cette chapelle ignorée (ixe siècle ?). Où les religieux et les routiers, en effet, auraient-ils pu se trouver plus en sûreté que dans ce bout du monde monastique, vrai repaire de brigands et nid d’aigle défendu par la coupe des rocs verticaux, par les fourrés de ronces et les racines énormes des lierres revêtant les murailles naturelles comme un réseau de chevaux de frise, par les grands arbres et les broussailles accrochés aux moindres saillies, obstruant les plus petits creux ? Un précipice de 500 pieds interdit l’accès direct de ces restes d’architecture que l’on croirait toucher du doigt ; un circuit de vingt minutes est nécessaire pour les atteindre ; une échelle et des rampes de fer posées par le Club alpin en 1888 les ont rendues aisément abordables. Parmi ces reploiements de roches et cette exubérance de forêt vierge, il faut escalader les blocs et trouver son chemin à grand peine, et pas toujours sans danger (jusqu’à ce que le Club alpin ait fait aménager des sentiers praticables). C’est là le fond du décor : c’est ce que représente notre gravure. À gauche, toute la gorge de la Jonte se creuse, vertigineux abîme, à 400 mètres sous nos pieds ; elle se déroule tout entière en aval et en amont ; au sommet de son autre rive, à 1,200 mètres en droite ligne, les escarpements du causse Méjean réfléchissent sur leurs surfaces polies les rayons obliques du soleil matinal ; en haut des crêtes tailladées, les rocs détachés semblent une procession de fantômes blancs brusquement immobilisés dans les plus désordonnées attitudes d’une danse macabre fantastique. Le piton de Capluc, au-dessus du Rozier, n’est pas le moins bizarre de tous. À sa base, à 3 kilomètres, Peyreleau et le Tarn. Plus près, autour de nous, à nos pieds et sur nos têtes, ce ne sont que minces cloisons de pierre, bastions fendillés et minarets pointus, tables et chapeaux, cônes et cylindres géométriques, encorbellements et surplombs. Nous sommes au milieu de l’étage des dolomies supérieures, suspendus comme des mouches contre la paroi du causse Noir : sous notre main se multiplient les détails de ses découpures, aussi riches de formes et de couleurs que les arabesques de l’Alhambra, et invisibles du fond des vallées ; vraiment, dans ce pays privilégié, nous volons de surprise en surprise : M. Fabié a mesuré l’une des saillies, bombée au milieu comme un fût monstre et qui suspend au-dessus d’effrayants précipices une large et plane pelouse de gazon (rocher Fabié) ; il a trouvé 190 mètres de hauteur verticale ou surplombante ! Or, plusieurs étages de gradins analogues s’échelonnent sur les flancs du causse. Que sont les piliers de la Suisse saxonne et les falaises cauchoises auprès de ces remparts colossaux ? Et tout cela est évidé, creusé, sculpté à même la pierre, rouge, jaune, noire, émaillée de ces flamboyantes couleurs que la palette des sels de fer sait communiquer aux roches dolomitiques. Ajoutez-y le fouillis des arbres sombres et les entrelacs d’arbustes épineux aux baies pourpres, toute cette végétation tenace et vivifiée par les eaux des pentes, qui escalade les couloirs, enveloppe les pointes et drape les parois comme font le lierre au chêne et la vigne vierge aux murs de brique !