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les cévennes

mazuc en pierres sèches servant d’abri à des bergers ; aujourd’hui c’est une des parties les plus riches de la France centrale. » (A. Lequeutre.)

On a bâti des granges et des écuries pour rentrer des foins qui se consommaient autrefois sur place, et faire hiverner des bêtes à cornes. Chose étrange, c’est le retour à la plus vieille pratique agricole qui a fait la fortune de ce pays, tandis que l’on recherchait des moyens scientifiques et industriels et que l’on peuplait partout les fermes de coûteuses machines.

Toute la richesse de ces plaines vertes ou de ces vallées fleuries vient de la vie pastorale et de la fabrication du fromage. C’est vieux comme le monde, on peut le dire.

On doit ajouter néanmoins que quelques grands propriétaires ont apporté, depuis trente ans à peu près, de réelles améliorations, dont les principales consistent dans l’assainissement des marécages et la création des prairies bien irriguées.

L’on a pu augmenter dans de notables proportions le nombre des bestiaux ; on les a mieux soignés.

Que de sujets d’études pleines de charme et de pittoresque dans cette visite aux burons et aux parcs dont la plaine est semée !

« Cette grande palissade, que l’on aperçoit de loin, nous désigne un parc à veaux qu’il faut abriter de la bise, la terrible cantaléso, car tout couche ici en plein air pendant l’été. Nous sommes au matin. Le berger, que l’on nomme ordinairement cantalès, appelle par leur nom, avec un accent spécial, les vaches une par une pour les traire. Généralement elles accourent vite. On leur livre leur veau ; mais, plus rapidement que le jeune animal, le cantalès retire le lait à la vache. Pour aller plus vite, beaucoup de ces hommes ont attaché une petite sellette ou pied en bois à la partie postérieure du pantalon. Ils s’assoient dessus pour traire commodément le lait et ne pas perdre de temps.

« Mais toutes les vaches n’ont pas de veaux, et il faut toutefois qu’elles restent un moment tranquilles, tandis qu’on leur prend le plus de lait possible. On use alors d’un stratagème bizarre, qui consiste à avoir un veau grossièrement empaillé, ou plutôt un simulacre de veau, fait d’une peau bourrée de foin et plantée sur un piquet. L’homme jette un peu de lait de la mère sur cette peau, l’étend avec la main et fixe le pseudo-fils devant la vache. Celle-ci, sentant son lait, accepte d’ordinaire bravement cette adoption et lèche son faux rejeton avec tendresse.

« Seulement il arrive parfois que, les coutures du simulacre de veau se relâchant et le foin odorant se trouvant sous la langue de la vache, celle-ci prend son repas dans le corps de son fils adoptif tandis qu’on lui retire son lait.

« Tout voyageur doit visiter l’intérieur d’un buron où se fabrique ce fromage qui, sous les divers noms de fromage de table, fromage de la Guiole, etc., est porté par toute la France. C’est dans des moules en forme de cercle, de cribles, que le buronnier ou mannier met le lait caillé et le tasse avec les mains ou les genoux. » (L. de Malafosse.)

Et puis l’Aubrac est encore la terre promise du botaniste.

On ne se fait pas une idée, à moins de l’avoir vue, de la richesse de sa flore.

Avant que la faux ait passé dans les prés ou que la dent des troupeaux affamés par la sécheresse d’août ait été chercher les herbes dans les moindres creux, c’est un miroitement de couleurs, une variété de teinte difficile à décrire. L’Aubrac