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Page:Martel - Les Cévennes et la région des causses, 1893.djvu/395

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M. Joly ne fut donc pas écouté ; les faits eux-mêmes appuyèrent longtemps les objections. En effet, depuis que les preuves indéniables de l’existence de l’homme quaternaire se sont accumulées de tous côtés, on a exploité à outrance le riche ossuaire qui nous occupe ; voilà cinquante ans que les fouilleurs s’y succèdent tous avec bonheur ; or, pendant ce demi-siècle, rien de conforme aux trouvailles de 1833 n’avait été exhumé de cette fosse célèbre, bien que tout le sol en eût été bouleversé et que de nombreuses familles d’Ursus en fussent sorties ; dans aucune grotte de la contrée on n’avait même recueilli de vestiges de l’homme paléolithique. Aussi les conclusions de M. Joly passèrent-elles dans la classe des conjectures hasardées : aussi MM. Jeanjean[1], Trutat, Cartailhac[2], l’abbé Cérès[3], etc., forts de cet argument, négatif, en vinrent-ils à nier que l’homme quaternaire, incontestablement reconnu dans de nombreuses localités françaises et étrangères, eût jamais pénétré dans la Lozère ni même dans les Cévennes du Languedoc.

Or les preuves du contraire ont fini par être recueillies, bien tardivement il est vrai.

En 1883 seulement, une belle hache en silex taillé, rapportée au type de Saint-Acheul, devint un premier argument contre la négation absolue de l’homme quaternaire lozérien ; elle fut rencontrée par M. le docteur Prunières à la grotte de la Caze, à côté d’un « fémur gigantesque d’Ursus qui avait longuement suppuré sans guérir ». Pourquoi cette blessure n’aurait-elle pas été faite par une arme tranchante ? Cette fouille donna aussi, paraît-il, quelques menus fragments humains ; mais M. Prunières, ne les ayant pas extraits de ses propres mains n’osa pas les produire à côté de sa hache, si convaincante : louable excès de prudence, souvent trop rare chez les fouilleurs.

Ces documents, tout restreints et isolés qu’ils fussent, constituaient véritablement le commencement de preuve. La confirmation devait se manifester bientôt. Le 28 août 1883, mon ami L. de Launay, ingénieur des mines, et moi, nous trouvions dans la grotte de Nabrigas, au fond d’une poche vierge de fouilles et non remaniée par les eaux, une portion de mâchoire humaine avec trois dents, huit autres fragments de crânes humains, et un morceau de poterie très grossière[4] en contact immédiat avec les restes d’au moins deux squelettes d’Ursus spelæus. (V. la figure.)

Il y avait juste cinquante ans que le double problème de l’homme quaternaire en Lozère et de la poterie paléolithique était posé. Nous ne voulons pas reproduire ici la controverse soulevée alors par MM. Cartailhac et de Mortillet, ni les répliques faites : il suffira d’y renvoyer les spécialistes que cela pourrait intéresser[5].

Depuis notre trouvaille de Nabrigas, on a fait, récemment, des découvertes semblables en Belgique : elles sont dues à MM. Fraipont (grotte d’Engis), de Puydt et Lohest (grotte de Spy), et Braconnier (grotte du Petit-Modave)[6].

  1. Mémoires de l’Acad. du Gard pour 1872, Nîmes, 1874.
  2. Matériaux pour l’histoire de l’homme, 2e série, t. III, avril-mai 1872.
  3. Mémoires de la Soc. des lettres, sciences et arts de l’Aveyron, 15 septembre 1867.
  4. Ces pièces sont aujourd’hui au laboratoire d’anthropologie du Muséum d’histoire naturelle de Paris.
  5. V. E-A. Martel et L. de Launay, Comptes rendus des séances de l’Acad. des sciences, 9 novembre 1885 ; Bull. de la Soc. géologique, 7 décembre 1885 ; Bull. de la Soc. d’anthropologie, 19 novembre 1885 ; — Cartailhac, Comptes rendus de l’Acad. des sciences, 23 novembre 1885 ; — de Mortillet, l’Homme, 10 avril 1885, no 7 ; — Topinard, Bull. de la Soc. d’anthropologie, 1887, p. 600.
  6. V. Archives belges de biologie, Gandt 1887, Mémoire de MM. Fraipont et Lohest ; — Revue d’anthropo-