Page:Martial - Épigrammes, traduction Dubos, 1841.djvu/34

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XXVIII

un esclave attentif m’apporte l’habit préparé la veille. A peine levé, je trouve un bon feu qui me salue de sa flamme brillante, heureux foyer que ma fermière entoure d’un rempart odorant de marmites bien garnies. De jeunes serviteurs s’empressent autour de moi tout le jour. Le métayer, imberbe encore, me prie de faire abattre sa longue chevelure. A midi je vais me promener dans mes jardins. Ce bois épais, ces fontaines jaillissantes, ces épaisses treilles où la vigne entretient un frais ombrage, ce ruisseau murmurant qui promène çà et là son eau vive et capricieuse, ces vertes prairies, ces rosiers chargés de fleurs, aussi beaux que les rosiers de Pestum qui fleurissent deux fois l’année, ces légumes qui verdissent en janvier et qui ne gèlent jamais, ces rivières où nage emprisonnée l’anguille domestique, cette blanche tour habitée par de blanches colombes, tels sont les dons de Marcella ma femme ; ce petit empire où je vis, où je règne, je le tiens de Marcella. Vienne Nausicaa m’offrir sa main et les jardins d’Alcinoùs, je répondrai : J’aime mieux Marcella et ses jardins.

Quelle fortune inexplicable ! vas-tu dire, cher Sextus. Je vois d’ici ton étonnement : est-ce bien là ce même Martial si pauvre et si abandonné dont tu gourmandais la paresse ! Chaque matin, à Rome, quand toi, sénateur, tu avais fait tes soixante visites, tu me retrouvais encore au lit, moi pauvre et paresseux chevalier, et tu me grondais parce que dès le point du jour je ne m’étais pas mis en quête de salutations et de baisers. Tu proposais l’exemple de ton ambition à ma paresse ; mais, entre nous quelle différence, Sextus ! Tu te donnais toutes ces peines pour placer un nom nouveau dans nos fastes consulaires, pour aller gouverner la Numidie ou la Cappadoce ; mais moi, je te prie, à quoi bon me lever de si bonne heure ? pour aller piétiner dans la boue du matin ? Que m’en serait-il revenu ? Qu’avais-je donc à attendre des uns et des autres ? Quand ma sandale brisée me laissait pied nu au milieu de la rue, quand un orage soudain m’inondait d’un torrent de pluie, en vain aurais-je appelé à mon aide ; même chez moi, je n’avais pas un esclave pour me changer d’habit. Pourquoi donc me serais-je donné toutes les peines que tu te donnais toi-même ? Nos peines auraient été les mêmes, nos chances n’étaient pas égales : tu courais après une province, moi je courais tout au plus après un souper. Notre but n’était pas le même, nos chances n’étaient pas les mêmes. Je t’ai donc laissé courir après la fortune, et j’ai attendu la fortune dans mon lit.

Comment donc cette fortune m’est arrivée, je vais te le dire. Je dînais