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XXIX

un jour chez le riche Macer ; tu sais bien, ce même Macer qui, a force de donner des anneaux aux jeunes filles, finira par n’avoir plus d’anneaux. Ce Macer est un antiquaire entêté de toutes sortes de curiosités puériles, auxquelles je préfère, à te parler vrai, les vases de terre fabriqués à Sagonte. Cet impitoyable bavard entend assez bien l’ordonnance d’un dîner ; mais, pendant qu’il vous raconte l’antiquité de sa vaisselle d’argent, son vin a le temps de s’éventer. — Ces gobelets, vous dit-il, ont figuré sur la table de Laomédon. Le terrible Rhésus se battit pour cette coupe avec les Lapithes ; même elle a été échancrée dans le combat. Ces vases passent pour avoir appartenu au vieux Nestor, à telle enseigne, que la colombe qui sert d’anse a été usée par le pouce du roi de Pylos. Voici la tasse que le fils d’Eacus remplissait pour ses amis. Dans cette patère la belle Didon porta la santé de Bytias quand elle donna à souper au héros phrygien. — Ainsi il parlait ; puis, quand vous aviez admiré ces vieilles ciselures, le maudit antiquaire vous faisait boire, dans la coupe du vieux Priam, un vin jeune comme Astyanax.

Ce jour-là, après le diner, notre Amphitryon recevait belle et nombreuse compagnie ; et pour amuser ses hôtes, fatigués de curiosités douteuses, il leur avait promis Martial : « Vous aurez Martial ; Martial « vous dira des vers ! Martial improvisera des distiques sur des sujets « donnés ! » O honte et misère poétique ! En effet, nous nous levons de table. A l’heure dite arrivent en litière tous les grands noms de Rome, et quelques belles Romaines vieilles ou jeunes, mais au regard intelligent et plein de bienveillance. Tu sais que j’excelle à ces joutes de l’esprit où le hasard, cette dixième muse, remplace les neufs Sœurs ; futiles et scintillantes lueurs dont les hommes graves s’amusent comme les enfants s’amusent de leurs hochets. Ce soir-là j’étais encore plus disposé à bien faire qu’à l’ordinaire : j’étais si pauvre ! ma maison tombait en ruine, ma loge était usée, mon foyer était sans feu, ma lampe sans huile, et l’huissier me menaçait pour le surlendemain. Je me dis donc à moi-même. — C’est à présent qu’il te faut être gai, enjoué, railleur, bon plaisant, mon pauvre Martial ! — En effet, notre homme, me prenant par la main et me présentant à cette belle compagnie : — Voila, dit-il, notre Martial ! Proposez-lui les difficultés les plus difficiles : son vers et son esprit vous attendent de pied ferme ! — On commença donc ce supplice cruel qui consiste à tirailler la poésie d’un honnête homme dans tous les sens, comme on fait d’une aune de laine pour voir si le tissu est solide et si l’étoffe ne se déchire pas.