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XXXVI

ait été écrite sur les amours des jeunes gens ; un Cicéron sur parchemin, œuvre immense qui eût pu suffire aux plus longs voyages ; les vers brûlants de Properce, non loin des histoires de Tite-Live ; Salluste, l’admirable écrivain, et les vers tristes et galants du malheureux Ovide. Qui encore ? Tibulle, la victime de Némésis, sa coquette maîtresse, qui l’a ruiné, mais qui lui a donné la gloire ; Lucain, grand poète tant décrié par les prétendus connaisseurs, mais si populaire, en dépit de toutes les critiques ; Catulle, enfin, la gloire de Vérone, comme Virgile est la gloire de Mantoue. Tels étaient mes trésors, tels étaient mes dieux domestiques, tels étaient mes confidents assidus, tels étaient les consolateurs de ma glorieuse pauvreté !

Après quelques instants d’hésitation (hélas ! je comprenais déjà confusément que ce n’est pas sans chagrin et sans péril qu’on se sépare de Rome, cette grande prostituée), je pris la main que me tendait Marcella : — Vous êtes belle et vous êtes bonne, lui dis-je, ô Marcella ! Qu’il en soit fait comme vous dites ! Je le veux, soyez ma femme ; emmenez-moi loin de Rome ; quittons, quittons la ville ; retournons dans nos fertiles campagnes, sous notre beau soleil, aux bords de notre beau fleuve. Oui, c’en est fait, tu dois redevenir un homme libre, Martial ! Tu seras libre, si tu t’abstiens de manger chez les autres, si le jus du raisin d’Espagne te suffit pour apaiser ta soif, si tu es assez sage pour voir d’un œil de mépris la riche vaisselle du malheureux Cinna. Oui, c’en est fait, adieu le bruit et les grandeurs ! Soyez donc ma femme, Marcella. Autrefois, dans ses bontés avares et ironiques, Domitien m’a gratifié des droits d’un père de trois enfants : plaise aux dieux que nous ne perdions pas notre droit ! Le présent du maître ne doit pas périr ! Allons donc rejoindre nos riches Pénates. Vous serez pour moi plus que n’était Cynthie à Properce, Lycoris à Gallus : vous serez ma Pénélope, ma Cornélie, ma Julie, ma Porcia ; vous serez à la fois ma Lucrèce et ma Laïs. Et vous, calendes de mars qui m’avez vu naître (jour plus aimable cent fois que les autres kalendes, et qui me valiez des présents même des jeunes filles), pour la quarante-septième fois, recevez mes libations sur vos autels ! Grands dieux ! ajoutez, je vous en prie, à ce nombre (si toutefois c’est pour le bien de celui qui vous le demande), deux fois neuf ans ! Faites que, sans être trop alourdi par la vieillesse, après avoir parcouru les trois âges de la vie, je descende dans les bosquets de l’Elysée pour y attendre Marcella !