Page:Martial - Épigrammes, traduction Dubos, 1841.djvu/43

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XXXVII

Telle est, cher Sextus, cette histoire de mon honheur ; il m’arriva complet, inespéré. Aussitôt que je fus décidé à quitter Rome, je n’eus point de repos que je n’eusse dit adieu à mes amis et à mes ennemis : à ceux-là un tendre embrassement, à ceux-ci une dernière épigramme. Je voulus revoir aussi les lieux qui m’étaient chers, les palais qui m’avaient abrité, les seuils ingrats qui m’avaient dédaigné, tous les lieux témoins de mes souffrances et de mes plaisirs. O Tibur ! ô Sorrente ! ô Soracte ! chanté par Horace et couvert de neiges ! Voilà ces fertiles coteaux que préfère Bacchus aux collines de Nisa ! Naguère, sur ces montagnes, les satyres formaient les danses rapides ; c’était la demeure de Vénus, plus encore que Lacédémone ; Hercule a passé sur ces sommets ; la flamme a tout détruit, et cependant déjà les pampres reverdissent !

Adieu, portiques ! adieu, musées ! adieu, bibliothèques retentissantes ! adieu les bains ! adieu la place publique ! adieu les belles courtisanes ! adieu la conversation légère, la lutte poétique ! adieu le théâtre, le Cirque, le Capitole ! adieu le palais de l’Empereur ! adieu Rome entière ! J’ai assez vécu de cette vie retentissante et agitée, mêlée de passions et d’angoisses, de succès et de revers, de consolations et de désespoirs, de bienfaits et de despotisme. Maintenant je ne serai plus le jouet du hasard et du vent qui souffle ; maintenant l’inspiration me viendra à mes heures, je serai poète à mes heures. Je dirai comme Horace : L’indépendance est le plus précieux des biens ; et je me plongerai dans ma douce paresse. Adieu donc, ma vie passée, et même adieu la gloire ! Ma gloire désormais, désormais mon bonheur, désormais ma fortune, c’est Marcella !

Je quittai Rome comme en triomphe. J’y étais arrivé pauvre, seul et nu, victime consacrée à la poésie : j’en sortais riche, et marié avec une charmante femme de cœur. Ainsi la poésie n’abandonne jamais ses enfants. Nous avons revu, Marcella et moi, heureux et ravis, ces beaux lieux de notre naissance ; enfin Marcella s’est reposée des fatigues de sa beauté, et moi des fatigues de mon génie. Jamais la fière Bilbilis n’avait été plus bruyante du bruit des armes, les eaux du Caussus n’avaient jamais été plus rapides et plus fraîches ; le Vadavéron sacré étendit sur nous ses épais ombrages ; les Nymphes du Considus au cours paisible vinrent au-devant de nous avec un gracieux sourire. Là je vis, la je règne. L’hiver, je fais grand feu dans ma maison ; l’été, je rafraîchis mon corps dans le lit peu profond du Xalon, qui durcit le fer.