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missionnaires saint-joseph

et considéra une jeune veuve debout au seuil de sa maison. Une pensée vint et resta fermement gravée dans son esprit comme un ordre d’en haut, à quoi il n’essaya pas de se soustraire : « C’est la personne que Dieu t’a réservée pour épouse. » Il l’épousa, en effet, l’ayant reçue de sa mère, après l’avoir traitée avec une honnêteté et une persévérance sans borne. Entre temps, il avait gagné la maîtrise de son art, par un décret des magistrats la promettant à tous les aides-chirurgiens qui resteraient dans la cité, alors que la frayeur du fléau avait mis en fuite beaucoup de maîtres eux-mêmes.

Il reçut avec reconnaissance ces marques de la protection divine comme il avait accepté les épreuves du début de sa vie. Il se confiait par une docilité entière aux démonstrations intimes de sa vocation. C’est ainsi qu’il trouva une directrice parfaite dans la mère Madeleine de Saint-François, supérieure du premier monastère franciscain de Sainte-Élisabeth de Lyon. À dater de là jusqu’à la mort de cette religieuse, qui avait au plus haut degré le secret de la connaissance et de la conduite des âmes, l’histoire de Crélenel se déroule entièrement entre Dieu et la mère Madeleine avec qui il avait des entretiens quotidiens, et qui lui aida à progresser de jour en jour dans les voies de la spiritualité. Crétenet montra, par la suite, des lumières de simplicité et d’apostolat telles que les plus distingués religieux de la ville en étaient émerveillés. On se doute que cela n’alla pas sans exciter la méfiance, puis la raillerie et la haine. La méfiance, bientôt exprimée par des persécutions, vint des gens, même pieux, qui ne voyaient pas sans quelque scandale un chirurgien, ignorant des lettres et de la théologie, pratiquer une vie d’exception, prêcher dans les maisons, réunir des auditeurs chez lui : « C’est de la nouveauté », disaient-ils, « et de la nouveauté contraire à l’ordre établi dans l’église et aux lois de la juste hiérarchie ». La raillerie et la haine venaient des mondains, furieux qu’on les accabla d’un pareil exemple ; ils passèrent des caricatures aux violences. Les conseillers du moyen terme, qui ne manquent jamais en semblable cas, représentèrent à Crétenet en mille raisonnements tirés des meilleurs auteurs, qu’il devait retrancher quelque chose de sa dévotion intempestive, de sa méthode de procéder contre les vices, méthode trop fortement opposée aux maximes et aux habitudes du monde et à sa condition de laïque médiocrement instruit.

On lui remontra aussi et plus encore, qu’il était ridicule à un homme de son âge et de son état de se mettre sous la direction d’une religieuse, et de traverser chaque jour la ville pour recevoir d’elle des conseils d’élite et des règles de conduite singulières, bonnes tout au plus pour des religieuses qui peuvent s’en réserver le luxe, hors des travaux et des sollicitudes du monde. Crétenet, sans s’émouvoir de ce concert presque universel de blâme, prit toutefois conseil, pour la sûreté de sa conscience, auprès de quelques religieux éprouvés en science et en prudence, notamment auprès du Père Arnaud, prieur des Feuillants de Lyon, qui calma les scrupules de son humilité et l’encouragea à suivre son extraordinaire vocation. Les disciples de Crétenet, on peut déjà leur donner ce nom, étaient dès lors quarante ; à des écoliers, séculiers ou clercs, qui voulaient s’affermir dans le bien et l’orthodoxie, s’étaient joints des hommes faits de divers états, métiers ou offices. La calomnie s’en prit alors à ce qu’elle appelait un ramassis de réfor-