Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/152

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L’un avait la figure toute tailladée. Mais l’autre, il était comme vivant, même que les paupières n’étaient pas fermées. Comme vivant », reprit-il, « et pourtant mort, ça ne faisait pas de doute, dès le premier coup d’œil, à cause de je ne sais quoi… Et pour le cheval, tu as vu, c’était la même chose… Ah, quand nous serons libres », conclut-il, « il faudra que je t’y mène, un dimanche, à la Morgue… »

Daniel n’écoutait plus. Ils venaient de passer sous le balcon d’une villa, où la main d’un enfant égrenait des gammes. Jenny… Il voyait devant lui le visage fin, le regard concentré de Jenny, lorsqu’elle avait crié : « Qu’est-ce que tu vas faire ? » et que les larmes étaient montées dans ses yeux gris largement ouverts.

— « Tu ne regrettes pas de ne pas avoir de sœur ? » fit-il au bout d’un instant.

— « Oh si ! Une sœur aînée, surtout. Car j’ai presque une petite sœur. » Daniel le regardait surpris ; il expliqua : « Mademoiselle élève à la maison une petite nièce à elle, une orpheline… Elle a dix ans… Gise… Elle s’appelle Gisèle, mais on dit Gise… Pour moi, c’est comme une petite sœur. »