Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/189

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Antoine répliqua :

— « Ah, ça, c’est très bien, ça me plaît beaucoup. Je suis très content, vois-tu, que tu sois poète. »

— « Vrai ? » fit l’enfant.

— « Oui, très content. Je le savais d’ailleurs. J’ai déjà lu des poèmes de toi, j’en ai quelquefois trouvé, qui traînaient. Je ne t’en ai pas parlé. D’ailleurs, nous ne causions jamais ensemble, je ne sais pas pourquoi… Mais il y en a qui me plaisent beaucoup : tu as certainement des dons, il faudra en tirer parti. »

Jacques se pencha davantage :

— « J’aime tant ça », murmura-t-il, « Je donnerais tout pour les beaux vers que j’aime. Fontanin me prête des livres ; — tu ne le diras pas, dis, à personne ? — C’est lui qui m’a fait lire Laprade, Sully-Prudhomme, et Lamartine, et Victor Hugo, et Musset… Ah, Musset ! Tu connais ça, dis :
« Pâle étoile du soir, messagère lointaine
« Dont le front sort brillant des voiles du couchant…

« Et ça :
« Voilà longtemps que celle avec qui j’ai dormi,
« Ô Seigneur, a quitté ma couche pour la vôtre,