Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/256

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— « … inculquer aux enfants », disait-elle en souriant avec mélancolie, « qu’il n’y a rien de plus précieux que la vie, et qu’elle est incroyablement courte. »

Il y avait longtemps que Jacques ne s’était trouvé au milieu de personnes étrangères, et ce spectacle le passionnait au point de lui enlever toute sa timidité. Jenny lui parut petite et plutôt laide, tant Nicole avait d’élégance naturelle et d’éclat. En ce moment elle causait avec Daniel et riait. Jacques ne distinguait pas leurs paroles. Elle levait sans cesse les sourcils en signe d’étonnement et de joie. Ses yeux, d’un gris bleu ardoisé, peu profonds, trop écartés et peut-être trop ronds, mais lumineux et gais, entretenaient un perpétuel renouvellement de vie sur son visage blanc et blond, tout en chair, qu’alourdissait une épaisse natte, roulée en couronne autour de sa tête. Elle avait une façon de se tenir un peu penchée en avant, qui lui donnait toujours l’air d’accourir vers un ami, d’offrir à tout venant la vivacité animale de son sourire. Jacques, en la dévisageant, revenait malgré lui au mot de Daniel qui lui avait si fort déplu : appétissante… Elle se sentit examinée et