Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle l’écoutait avec une sympathie grandissante. Il lui paraissait jeune, ardent, chevaleresque. Elle admirait sa physionomie vivante, le pli attentif de son front ; et, comme il relevait la tête, elle ressentit une joie enfantine à découvrir dans ses traits une particularité qui ajoutait au caractère réfléchi de son regard : la paupière supérieure était chez lui si étroite qu’elle disparaissait presque sous l’arcade sourcilière lorsqu’il avait les yeux grands ouverts, à tel point que les cils venaient presque doubler les sourcils et se confondre avec eux. « Celui qui possède un front pareil », pensait-elle, « est incapable de bassesse… » Alors cette pensée la traversa : qu’Antoine personnifiait l’homme digne d’être aimé. Elle était encore toute vibrante de son ressentiment contre son mari. « Lier sa vie à un être de cette trempe… » C’était la première fois qu’elle comparaît quelqu’un à Jérôme ; la première fois surtout qu’un regret précis l’effleurait, et ce soupçon qu’un autre eût pu lui apporter le bonheur. Ce ne fut qu’un élan, passionné, furtif, qui -a troubla, d’un coup, jusqu’aux profondeurs, mais dont elle eut honte presqu’aussitôt, qu’elle maîtrisa du moins sur-le-champ, tan-