Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/96

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dire, c’est comme si on s’endormait dans le fond de soi, tout au fond… On ne souffre pas vraiment puisque c’est comme si on dormait, mais c’est pénible tout de même, tu comprends ? »

Il se tut un moment, et reprit, d’une voix saccadée, en hésitant davantage :

— « Et puis, Antoine, je ne peux pas tout te dire… Mais tu sais bien… Seul comme ça, on finit par avoir un tas d’idées qu’on ne devrait pas… Surtout que… Ainsi, les histoires du père Léon, tu sais… et les dessins… Eh bien, au fond, c’est un peu une distraction, tu comprends ? J’en fais d’avance… Et la nuit, j’y repense… Je sais bien qu’il ne faudrait pas… Mais, tout seul, tu comprends ? Oh, j’ai tort de te raconter tout ça… Je sens que je le regretterai… Mais je suis si fatigué ce soir, si tu savais… Je ne peux pas me retenir… » Et il se mit tout à coup à pleurer plus fort.

Il éprouvait un malaise étrange : il lui semblait mentir malgré lui, et que, plus il cherchait à dire la vérité, moins il y parvenait. Pourtant, rien de ce qu’il racontait n’était inexact ; mais, par le ton, par l’exagération de son trouble, par le choix des