Page:Martinaud - Lettre d'un jeune prêtre athée et matérialiste à son évêque le lendemain de son ordination.djvu/11

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dont la sainteté consiste à exiger des adorations sous des peines imaginables, c’est pour lui donner à imiter, dans la personne d’un despote sombre et farouche, le type même de l’égoïsme. Et la grandeur de notre nature, le plus puissant stimulant de l’amour d’autrui, qu’en faites-vous ? vous l’escamotez ; vous rendez l’homme aussi méprisable que possible, en le déclarant incapable de tout bien.

Nous autres, nous suivons une voie toute opposée. Nous commençons par glorifier l’homme, nous le déclarons trop grand pour avoir un maître ; et, après l’avoir affranchi, nous lui disons, comme tout à l’heure : « Suis ta nature ! » C’en est assez pour le rendre capable de tous les héroïsmes. Car le dévouement lui est aussi nécessaire que le boire et le manger. Ici comme dans toutes les questions d’instinct, tout dépend des circonstances provocatrices et du libre essor. C'est pour avoir compris cette vérité que l'athéisme et le matérialisme ont le secret du parfait désintéressement.

Rien de plus commun que d’entendre dire : L’athéisme et le matérialisme ne valent rien pour le peuple : « il faut au peuple une religion. » Quoique ce sentiment ait pour lui des hommes fort respectables, je le crois un préjugé.

Le peuple n’a aucun intérêt à être religieux ; sa religion n’est nécessaire qu’à ses tyrans. Pourquoi ceux-ci s’opposent-ils avec tant de force à ce qu’il soit athée ? Parce que pour lui, être athée, ce serait être libre. Je sais bien qu’avant tout il faut éclairer le peuple, autrement son retour à la nature serait le retour à l’état sauvage. Mais éclairez-le, et vous verrez de quels prodiges l’athéisme et le matérialisme le rendront capable.