Page:Martinaud - Lettre d'un jeune prêtre athée et matérialiste à son évêque le lendemain de son ordination.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Oui, si Dieu existait, Dieu serait pour nous ; et comme il n’est que cette force intime cachée dans la nature, cette force qui excite parfois dans l’homme de sublimes transports, oh ! alors, avec cent fois plus de raison que Mirabeau ne le disait à Barnave, nous pouvons vous le dire à vous-mêmes : Non, la Divinité n’est pas en vous.

Le temps n’est déjà plus où il vous était facile d’abuser les hommes par de grands mots. Quand vous les appelez, comme le cuisinier de la fable, de votre traîtresse voix, plusieurs aussitôt de vous répondre : « Votre appât est grossier ; on ne m’y tient pas et pour cause ! » En vain à ceux-là parlez-vous encore de liberté : ils savent que votre vie s’écoule à forger des chaînes ; en vain faites-vous luire à leurs yeux l’élévation de l’homme ; ils savent que vous l’abrutissez ; ils savent aussi que vous voudriez de la science, mais de la science esclave. N’essayez plus de les rendre les dupes de cette fantasmagorie de mots, qui a remplacé celles des faits, vos visions, vos miracles et tous vos tours de passe-passe.

Voilà ce qu’ils vous disent par ma bouche ; et leur protestation sera bientôt celle de tous, oui, de tous, entendez-vous.

Alors renégat ne signifiera plus homme de progrès, mais homme rétrograde. Alors le véritable prêtre, ce sera l’homme vertueux donnant sa pensée au monde, ce ne sera plus le maraud que Démosthènes, dans un endroit de son discours contre Eschine, a daigné flétrir, en le montrant sans cesse à l’affût d’un gâteau ou d’un honoraire qu’il escroque au moyen de certaines simagrées. Alors, au lieu d’être un prêtre réfractaire, je serai un prêtre du Progrès. Ceux-là ne coûtent rien, et ils sont utiles.