Page:Martinaud - Lettre d'un jeune prêtre athée et matérialiste à son évêque le lendemain de son ordination.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En attendant, érigez en dogmes, Sous prétexte que dieu vous a parlé, toutes les rêveries des philosophes, pillant un peu partout selon votre humeur, au risque même de vous contredire de la manière la plus ridicule, et d’allier parfois dans le même chapitre, comme dans le troisième de l’Ecclésiaste Épicure et Platon (Eccl., 111, 17, 18). Ces dogmes, non contents de les fabriquer de la sorte, imposez-les ; non contents de les imposer, vendez-les ; tripotez les consciences, et faites-leur payer ce tripotage, alors que pour tripoter la dernière des femmes publiques, il faut lui donner de l’argent. Tout cela finira vite ; l’indignation des âmes honnêtes s’apprête à en faire justice.

Profitez du peu de temps qui vous reste.

Surtout n’oubliez pas vos messes. Ne laissez par dormir le pouvoir que vous m’avez donné de faire des petits dieux. Qui le croirait, Monseigneur, à l’époque où nous sommes, qu’un homme peut faire un dieu, qu’il peut même communiquer ce pouvoir à un autre homme. Mais ce qu’il y a là de plus admirable et de plus avantageux au moins pour moi, c’est que ce pouvoir une fois reçu ne saurait se perdre. Ainsi, quelque impie que paraisse à quelques-uns la main qui trace ces lignes, elle peut encore faire de petits dieux ; elle pourrait même, supposé que vous n’eussiez pas le même pouvoir, elle apostate, elle damnée, elle chargée de toutes les malédictions du ciel et de la terre, vous en expédier, sous ce pli, un tout prêt à mettre sous la dent.

Tout cela n’est-il pas beau ? Avouez, pour ne rien dire de plus, que vous êtes fort divertissants. Mais ce qui n’est pas risible, c’est qu’il y ait en plein dix-neuvième siècle des gens assez simples pour prendre au sérieux de pareilles billevesées.