Page:Martinaud - Lettre d'un jeune prêtre athée et matérialiste à son évêque le lendemain de son ordination.djvu/5

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religion de ses pères. Autant vaudrait proscrire le Progrès, car s’il n’est pas permis de renoncer à la religion de ses pères, c’est évidemment parce qu’il est impossible de trouver mieux. Déplorable préjugé, qui a immobilisé les Chinois, et qui rend encore dans nos campagnes la marche de la civilisation si lente. C’est pourtant lui qui va être cause qu’on me fera un crime d’avoir vu, et d’avoir ensuite agi selon ma conscience. Malgré les rudes coups que l’instruction lui porte tous les jours, il aura encore assez de force pour me faire paraître un monstre. Mais qu’importe, pourvu que je le tue ?

Pour mettre fin aux combats des gladiateurs, il fallut qu’un homme libre descendît spontanément dans l’arène et se fît dévorer par les lions. De même le monde ne se dégoûtera des vaines croyances, que lorsqu’un homme généreux, se chargeant à lui seul de tous les maux qu’elles portent en germe, aura montré dans sa personne combien elles peuvent rendre malheureuses les existences les moins dignes de l’être.

Ce serait pour moi une consolation s’il ne fallait pas d’autre victime, si mes infortunes atteignaient le but, si dans un avenir plus ou moins prochain, elles pouvaient arracher de tous les cœurs ce cri par lequel Lucrèce termine la peinture du meurtre, non pas juridique, mais sacerdotal d’Iphigénie :

« Que la religion sut enfanter de maux ! »

C’est dans ce désir, Monseigneur, que moi, jeune prêtre de votre plus récente confection, à peine sorti de vos mains : je me déclare athée et matérialiste.

Je me moque de vos foudres ; je crains peu vos saintes fureurs. Du temps de Vanini, j’aurais tenu le même lan-