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tels que le mien, le mal ordinaire, d’ailleurs beaucoup moins sérieux, c’est que le sourd est curieux, veut savoir tout ce qu’on dit et devient un fléau pour tout le monde. J’ai été préservée de ce défaut ou du moins j’ai essayé de m’en préserver, grâce à un avis amical de mon frère aîné. (Et de combien d’autres défauts de plus fréquents avis de cette sorte m’auraient préservée !) Il avait dîné avec une vieille lady célibataire — une espèce de bas-bleu provincial en son temps — qui était devenue sourde, d’une manière presque instantanée et si fort contre sa volonté qu’elle essayait de se cacher à elle-même le plus longtemps possible son infirmité. Pendant le dîner, elle était assise à côté d’une de ses anciennes connaissances, William Taylor de Norwich, qui n’avait jamais bien su comment on devait se comporter avec les dames, — excepté, il faut le dire à son honneur, avec sa mère aveugle. Elle le tracassait pour qu’il lui répétât tout ce qu’on disait, tellement qu’il finit par devenir presque bourru et impoli. Mon frère me dit qu’il était persuadé que je ne me rendrais jamais aussi insupportable que cette dame si j’avais le malheur de devenir aussi sourde qu’elle. Ceci me détermina à prendre la résolution de ne jamais demander ce qu’on disait, et malgré toutes les remontrances, amicales ou autres, je suis toujours demeurée fidèle à cette résolution, avec la conviction que c’était le meilleur parti à prendre. Je pense maintenant et j’ai toujours pensé qu’il est impossible à un sourd de deviner ce qui vaut la peine d’être demandé et ce qui ne la vaut pas ; j’ajoute, que l’un ou l’autre de ses amis, s’il n’a pas l’habitude de les fatiguer de ses questions, ne manque jamais de lui répéter ce qui mérite d’être entendu.

« Une autre observation qui ne me paraît pas inutile, c’est que ceux qui entendent devraient s’abstenir en cette affaire, de vouloir imposer leur opinion à ceux qui n’entendent pas. Je suis persuadée que ma famille aurait fait tous les sacrifices imaginables pour me sauver de mon infortune ; ce qui ne l’empê-