Page:Martineau - Contes choisis sur l economie politique - tome 1.pdf/12

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cha pas de l’aggraver terriblement par sa manière de la traiter. D’abord, et pendant longtemps on prétendit que c’était ma faute, — que j’étais distraite, — que je ne faisais jamais attention à ce qu’on disait, — que je devrais écouter d’une manière ou d’une autre, et même, pendant que mon cœur se brisait, on me soutenait qu’il n’y a de sourds que ceux qui ne veulent pas entendre. Lorsque ma surdité devint absolument évidente, — on me blâma de ne pas faire ce que je n’étais que trop tentée de faire — c’est-à-dire de demander tout ce qu’op disait. Ce fut une rude épreuve, mais elle me fut très utile à la fin. Elle me prouva que je devais prendre mon sort entre mes mains, et au lieu de me désespérer comme je l’avais fait jusqu’alors je rassemblai toutes mes forces pour supporter courageusement ma destinée. Je compris que c’était une entreprise nécessaire à tenter, et l’esprit d’entreprise s’éveillant en moi, je finis par arriver au but non sans peine et sans défaillances. J’étais assez jeune pour faire des vœux, — j’étais même dans l’âge où l’on en fait — je fis donc vœu de patience pour mon infirmité ; je fis vœu de sourire chaque fois qu’elle me causerait une angoisse, de ne jamais reculer devant aucune de ses conséquences, et par exemple de me servir d’un cornet, quand même je devrais gâter les bords de mon chapeau, pour ne pas me priver du sermon et des offices, ce qui était alors la plus grande privation que je pusse concevoir. Je réussis à la longue à prendre le dessus, quoique mon sort m’ait paru bien souvent trop dur à supporter. Et maintenant que je suis sur le bord de la tombe, à la fin d’une vie laborieuse, je suis convaincue que cette même surdité doit être rangée au nombre des meilleurs événements de ma vie ; le meilleur à un point de vue personnel, car je lui dois le plus puissant des stimulants à me tirer d’affaire moi-même, le meilleur à un point de vue plus élevé, en ce qu’elle m’a offert l’occasion la plus favorable de venir en aide à ceux qui sont affligés de la même infortune, sans posséder l’énergie nécessaire pour surmonter la