Mais la guerre, en s’étendant sur des régions immenses, développa aussi quelques appétits ; presque tous les officiers firent des fortunes que l’on qualifierait aujourd’hui de scandaleuses, — il en était d’ailleurs de même chez les Anglais — et Dupleix lui-même n’y perdit rien, puisqu’au moment où les revenus du pays manquèrent, il put avancer près de trois millions de ses fonds personnels pour entretenir les hostilités. Ses richesses n’allèrent pas sans éveiller dans le public quelque jalousie et des critiques dont l’écho parvint jusqu’à Paris. Bien que les règles administratives fussent à cet égard moins strictes qu’elles ne le sont aujourd’hui, on ne laissa pas que d’en être défavorablement impressionné.
Ces critiques, il est vrai, n’osèrent pas s’affirmer trop ouvertement devant une entreprise dont chacun, à peu d’exceptions près, sentait la grandeur et la magnificence. Après la victoire d’Ambour et la prise de Gingy, on se rendit compte à Pondichéry que la création d’un empire français n’était nullement une utopie et qu’il suffirait d’oser pour réussir. L’amour-propre national aidant, l’entreprise devint vite populaire. Si l’on fait abstraction de difficultés que Dupleix n’apprécia pas à leur juste valeur, faut-il regretter qu’il ne l’ait pas réalisée ? Si on l’examine avec les idées ou plutôt avec les nécessités de notre temps, on serait peut-être obligé de faire quelques réserves. L’Asie n’est plus un pays ouvert aux ambitions faciles ; dans tous les États de ce vaste monde il s’est créé un sentiment national très vif, et il serait malaisé à une puissance étrangère d’y former de force un établissement : une guerre pour s’emparer de l’Inde serait une formidable aventure. Maintenant ce serait la thèse de la Compagnie qui prévaudrait.