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Page:Martineau - Le musicien de province, 1922.djvu/37

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LE MUSICIEN DE PROVINCE

doit se faire piano, piano… encore une fois… et nous enchaînerons ! »

Tout à coup, M. Grillé vociférait : « Forte ! » Il me semblait qu’un orage éclatait et chacun râclait éperdûment.

Je risquais un œil sur mes voisins. M. Grillé, la bouche ouverte, prêt à crier une indication, les yeux écarquillés, scandait chaque mesure, donnait le mouvement avec toute sa personne. Bergeat, le dos voûté, usait dans les moments vifs, les crins de son archet dont quelques mèches, à moitié arrachées, faisaient à l’extrémité de la baguette, un petit panache. Plus timide, je le suivais, en ripiane ayant d’ailleurs un instrument ad hoc, une espèce de violon à moitié mort dont les sons sortaient étouffés, comme d’une boîte en carton. L’alto qui était presbyte se plaçait loin de son pupitre, ajustait les notes, les visait comme s’il eût voulu les démolir une à une, rectifiait au besoin son tir en reculant encore sa chaise.

Le second violon qui était myope, se penchait au contraire sur sa partie, les yeux près du papier, le violon de travers, tandis que son archet lancé à grandes volées, menaçait à chaque instant le lustre.

La pianiste, le dos tourné à tout le monde, était de beaucoup la meilleure virtuose de l’orchestre ; sa partie n’était pas arrangée par M. Grillé et elle la jouait d’une manière parfaite,