Page:Martineau - Mémoire sur quelques affaires de l'Empire Mogol (Jean Law de Lauriston 1756-1761), 1913.djvu/179

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Cojaouazil qui m’avoit servi d’introducteur auprès du nabab et qu’on suppose sans doute notre protecteur, étoit un gros négociant d’Ougly qui n’étoit consulté du nabab que parcequ’ayant fréquenté les Européens et surtout les Anglois, il s’imaginoit qu’il les connoissoit parfaitement, l’homme du monde le plus timide, qui vouloit ménager tout le monde, et qui, voyant le poignard levé, auroit craint d’offenser Souradjotdola en l’avertissant qu’on l’assassinoit[1]. Il n’aimoit peut-être pas les Chets, mais il les craignoit, c’étoit assés pour nous le rendre tout à fait inutile.

Racdolobram, autre divan du nabab, étoit celui sur lequel je devois le plus compter. Avant l’arrivée de M. Clive on pouvoit le croire ennemi des Anglois, c’étoit lui qui prétendoit les avoir battus, avoir pris Calcutta. Il vouloit, disoit-il, soutenir sa gloire ; mais depuis l’affaire du 5 Février où assurément il n’eut de part que dans la fuite, ce n’étoit

  1. Dans l’Inde, c’est manquer de respect à un seigneur que de lui dire clairement le mal qu’on dit de lui. Si l’on sait qu’on forme des desseins contre sa vie, il faut se servir de circonlocutions, amener la chose de loin, parler par énigme. C’est au nabab à deviner de quoi il s’agit. S’il n’en a pas l’esprit, tant pis pour lui. Comme étranger j’étois plus hardi et je disois naturellement à Souradjotdola ce que je pensois. Cojaouazil ne manquoit pas de me blâmer, de sorte que pendant longtems je ne savois que penser de lui. Cet homme a été enfin la victime de ses ménagements, peut-être aussi de ses imprudences. On s’ennuye d’avoir toujours des ménagements, mais ce qui étoit bon dans le commencement, devient à la fin une imprudence.