Page:Martineau - Mémoire sur quelques affaires de l'Empire Mogol (Jean Law de Lauriston 1756-1761), 1913.djvu/334

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par lequel on se précipite aveuglement dans un danger, dont on est certain de ne pas revenir. Je n’ai jamais éprouvé ce qu’on sent en cette occasion, ainsi je ne puis dire ce que c’est. J’avoue que plus on aproche de la certitude de périr, plus le courage est grand, mais encore ne faut-il pas y atteindre. Je regarde comme furieux un homme qui se sacrifie. Il y aura dans lui, si l’on veut, quelque chose de divin, fort au dessus du courage, car je m’imagine déjà entendre citer les Decius et tant d’autres. Si l’on s’entête à nommer cela courage, je le veux bien encore, pourvu qu’on m’accorde que les femmes dans l’Inde ont plus de courage que les Européens, car pour une victime de la patrie, telle que Decius, on citera dans l’Inde vingt mille victimes de l’amour conjugal. Ce que je dis est pour revenir aux troupes de l’Inde.

À voir mille Européens chasser dix mille Indiens comme un troupeau de moutons, on est assurément tenté de croire qu’ils sont tous des lâches, mais il faut se mettre à leur place ; qu’on mette devant mille Indiens bien armés, bien disciplinés dix mille Européens sans autre arme que le sabre ou la lance, aussi mal disciplinés que les Indiens, chaque cheval appartenant à son cavalier qui n’a que cela pour tout bien dans le monde ; il faut aussi les suposer persuadés qu’à chaque pas qu’ils feront, ils recevront deux coups de canon et mille coups de fusil ; enfin qu’il leur est impossible de forcer le corps de mille Indiens, à la manœu-