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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

un peu vides, mais où éclatent de temps à autre une vigueur, une énergie, fort rares dans les compositions de ce genre ; enfin des poèmes sacrés, qui ne sont point, comme c’est assez l’habitude, le produit d’une pénitence à la fois tardive et précipitée, mais le couronnement d’une vie pieuse, l’hymne suprême d’une âme que la grâce touche et qui n’est accessible ni à d’étroits scrupules, ni à de vaines terreurs.

Certains écrivains croient parvenir à la majesté et à l’éclat par l’étalage des maximes générales. Corneille est bien éloigné de ce défaut. Dans son Discours du poème dramatique, il parle en ces termes de la nécessité de « mettre rarement en discours généraux » les sentences et instructions morales :

« J’aime mieux faire dire à un acteur : l’amour vous donne beaucoup d’inquiétudes, que : l’amour donne beaucoup d’inquiétudes aux esprits qu’il possède[1]. »

Il applique le même principe au détail du style, et à l’expression la plus étendue il préfère presque toujours le mot particulier, parfois même le terme technique. Il prend possession, au nom de la poésie, du domaine entier de la langue française. Ces richesses, que Ronsard et son école allaient recueillir péniblement dans le grec et dans le latin, il sait les trouver toutes dans notre idiome national ; il met à profit le trésor immense des vocabulaires spéciaux. Il parle avec aisance et justesse de théologie, de chasse, d’art militaire, de broderie, de toutes choses ; les mots qui embarrassent notre prose viennent se placer naturellement dans ses vers. Parfois même, on doit l’avouer, cette facilité d’assimilation l’entraîne un peu plus loin qu’il ne faudrait ; s’il discute, dans ses Discours et ses Examens, contre les disciples outrés et aveugles d’Aristote, il adopte avec eux, et comme tout le monde alors dans le style technique, les

  1. Tome I, p. 18. Édition Marty-Laveaux.