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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

Ces termes, que nous venons de rencontrer de loin en loin, au figuré, dans les œuvres de notre poète, y sont employés au propre dans une foule de passages beaucoup trop nombreux et trop étendus pour que nous puissions songer à les rapporter ici ; nous nous bornerons au suivant :

Voilà l’exploit qui trotte incontinent,
Aux fins de voir le troc et changement
Déclaré nul, et cassé nettement.
Gille assigné de son mieux se défend.
Un promoteur intervient pour le siège
Épiscopal, et vendique le cas.
Grand bruit partout ainsi que d’ordinaire :
Le parlement évoque à soi l’affaire[1].

Il est difficile de trouver de la procédure plus amusante. La narration est vive, le style excellent, et toutefois un procureur de l’époque ne relèverait ici aucun défaut de forme. Introduites subitement au milieu d’une discussion entre les frelons et les mouches à miel, ou dans quelque autre sujet semblable, ces expressions techniques ramènent tout à coup le lecteur au train journalier des affaires humaines.

On pourrait s’étonner que La Fontaine, qui administrait sa fortune avec tant de négligence, ait eu une connaissance si complète du droit. C’est qu’à l’époque où il vivait, on n’avait pas imaginé de se livrer exclusivement à une spécialité, et, quoique chacun eût une profession différente, on se comprenait encore ; les langues techniques n’étaient devenues ni assez abondantes ni assez barbares pour se séparer forcément du vocabulaire général ; les poètes ne songeaient pas à se créer un langage particulier, mais à exprimer leurs pensées les plus sublimes dans le langage de tous ; et quoique le purisme fit déjà de grands progrès, on osait appeler les

  1. Liv. IV, c. III, 140.