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REMARQVES SVR L’ORTHOGRAPHE FRANÇOISE

À cette époque, qu’on s’est plu à représenter comme offrant le type de la régularité absolue, la prononciation était variable, le genre des mots douteux, la syntaxe fort capricieuse. C’est au plus fort de cette anarchie grammaticale qu’on voit briller Corneille, Molière, Bossuet, Pascal, Mme  de Sévigné, La Fontaine ; c’est assez dire qu’elle n’a exercé aucune influence fâcheuse sur notre littérature.

Dans un temps où il n’existait encore aucun Dictionnaire français[1], où les grammaires, dépourvues de méthode et d’unité, n’étaient que des résumés sans valeur, rédigés à la hâte, pour les étrangers, par quelques professeurs subalternes, on ne croyait pas encore pouvoir remplacer, à l’aide d’un petit nombre de formules retenues par cœur, l’étude approfondie de notre langue. On se donnait la peine de l’apprendre en la parlant, en l’écrivant, et on s’appliquait plus à en bien connaître les nuances et les finesses qu’à en restreindre le domaine et à en resserrer les limites. Loin de bannir les gallicismes, on les recueillait avec soin, sans se demander s’il serait facile d’en faire l’analyse ; et lorsque par bonheur un mot possédait plusieurs formes, au lieu de les réduire à une seule, on les conservait toutes, afin d’avoir à l’occasion, le moyen d’éviter un hiatus ou une mauvaise consonnance[2]. Ce temps n’était pas celui des règles tranchantes, impérieuses, absolues, mais des remarques, des observations, des doutes sur la langue[3].

  1. Le Dictionnaire de Nicot, de 1606, est français-latin ; celui de Cotgrave, de 1611, est français-anglais ; le premier Dictionnaire purement français est celui de Richelet, en 1680.
  2. Voyez les Remarques de Vaugelas sur avec et auecque, vesquit et vescut, etc.
  3. Remarques sur la langue française (par Vaugelas). Paris, Courbé, 1647, in-4o. Observations de M. Ménage. Paris, Barbier, 1672, in-12. Doutes sur la langue françoise… (par Bouhours). Paris, Mabre-Cramoisy, 1674, in-12, etc.