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PHILOLOGIE COMPARÉE SUR L’ARGOT

Le fourbesque est un jargon plus spirituel et surtout bien moins grossier que tous les autres du même genre ; l’audace y disparaît sous la ruse, l’obscénité s’y voile sous l’élégante finesse de l’expression. Le mot veloce, rapide, y sert à désigner l’heure ; l’amant, cet amant italien toujours prêt à étourdir ses amis de ses plaintes et de ses soupirs qu’il convertit au besoin en sonnets, y prend le nom significatif de bramoso ; quant à l’ignorant, il y reçoit la noble épithète de gentiluomo.

L’argot anglais, moins délicat, se rapproche davantage, par son énergie pittoresque et cynique, de celui de notre pays ; la montre, la toquante, comme dit ici le peuple, s’appelle de l’autre côté du détroit tatller, babillarde. À Paris, un nègre est un mal blanchi ; les malfaiteurs de Londres le désignent par les termes ironiques de snow-ball, boule de neige, ou de lily-white, blanc de lys ; quant aux soldats, ils les nomment lobsters, homards, à cause de la couleur des uniformes du pays.

Les voleurs russes appellent une barre de fer ou un gros bâton vin de Champagne, tandis qu’en vertu de la même métaphore appliquée au sens inverse, les plus hideux cabarets des barrières de Paris ont souvent pour enseigne : À l’Assommoir.

Ces fréquentes analogies entre des jargons si divers parlés dans des régions fort éloignées les unes des autres, ont conduit M. Barrow, auteur d’un savant ouvrage intitulé The Zincali, à les considérer tous comme d’une origine commune, et c’est l’Italie qu’il leur assigne pour berceau.

M. Francisque Michel fait à ce sujet une distinction fort juste en ce qui touche l’argot français ; il remarque l’absence complète de toute influence italienne dans les textes anciens, particulièrement chez Villon, et signale au contraire les fréquents emprunts faits par les voleurs de notre pays à leurs voisins, aussitôt après les guerres d’Italie ; à cette époque, en effet, ils durent italianiser