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PHILOLOGIE COMPARÉE SUR L’ARGOT

comme tout le monde, et bien plus encore, car ce n’est pas seulement par engouement, mais pour leur sécurité, qu’ils recherchent les néologismes.

Les jargons employés dans les autres langues de l’Europe, renferment aussi des traces d’italien, mais beaucoup moins nombreuses, et s’ils se ressemblent entre eux, c’est uniquement parce qu’ils tendent au même but, et que les moyens de l’atteindre sont fort bornés.

Personne n’accusera les précieuses d’intelligences avec les voleurs, et cependant elles se rapprochent d’eux par plus d’une locution. Les dents sont appelées mobilier par les malfaiteurs, et par elles ameublement de la bouche ; elles nomment les deux sœurs ce qu’ils désignent par le mot de jumelles ; enfin, en argot, le tranche-ardent ce sont les mouchettes, et dans le style des ruelles, « inutile, ôtez le superflu de cet ardent, » signifie : laquais, mouchez la chandelle.

Voici un exemple bien plus décisif encore. Il y a eu à Toulouse, à une époque longtemps incertaine, mais que les savantes recherches de M. Ozanam semblent avoir définitivement fixée à la fin du vie siècle, une école composée de grammairiens qui s’appliquaient uniquement à rendre la langue latine incompréhensible. Plusieurs motifs les y engageaient ; ils voulaient, comme ils nous l’apprennent eux-mêmes, augmenter l’élégance du discours, éprouver la sagacité de leurs disciples, à qui, certes, il en fallait beaucoup pour les comprendre ; enfin dérober la science au vulgaire.

Ils avaient pris les noms des plus illustres personnages de l’antiquité, et les portaient avec aisance ; celui qui nous donne tous ces détails s’appelle Virgile ; ses collègues sont Caton, Cicéron, Horace, Lucain, Térence, etc. Chaque jour, ces savants hommes imaginaient quelque nouvelle complication de langage. À leurs yeux, leurs vers étaient des soleils, soles ; ils appelaient