Page:Marx - Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure.djvu/81

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C’est-à-dire :

— la nature sous la forme de l’homme,

— l’homme sous la forme de la nature[1],


car les deux présentations sont interchangeables. Cette interchangeabilité définit précisément la philosophie d’Epicure, qui est lisible à la fois comme idéalisme et comme matérialisme. Un tel schéma conteste tout rapport dialectique réel entre l’homme et la nature, rapport qui n’a aucun sens à l’intérieur du soliloque atomistique. Nous sommes sur le sol de la philosophie de la conscience de soi professée par Bauer.

Feuerbach semble rétablir les deux termes sur une base matérialiste : l’homme devient « le plus réel des êtres naturels ». Feuerbach pense l’homme et la nature, mais sans voir le contenu véritable du « et ». Le « et », du rapport dialectique concret qu’il désigne dans la pratique matérielle, devient ainsi le fondement de toutes les transmutations possibles entre les deux termes, parce que la distinction réelle entre les deux termes n’est pas pensée comme trans-

  1. . Ce schéma n’échappe pas à la contradiction homme/nature. Cette contradiction est simplement transportée à l’intérieur de l’atome. La conscience épicurienne, comme toute conscience philosophique, est contradictoire : elle n’a fait qu’intérioriser l’opposition homme/nature. Selon Marx, le schéma ternaire Dieu-homme-nature ou savoir absolu-conscience de soi-conscience (= son expression hégélienne) se réduit au schéma homme/nature, puisque Dieu n’est que la projection fictive de l’homme. Par contre, étant donné que la philosophie exprime (en le déformant) le monde concret, ce schéma homme/nature est indépassable, car le monde concret comporte effectivement l’opposition de ces deux termes. Ainsi, dans le schéma Dieu-homme-nature, Dieu représente la négation-solution idéaliste de l’opposition concrète. Le schéma épicurien Atome-atome-atome est alors cette solution (soit Dieu) oubliant la contradiction qu’elle renferme toujours pour ne pas l’avoir effectivement niée, et envahissant tout le réel.

    L’opposition de l’homme et de la nature est l’objet de la philosophie parce qu’elle définit le monde de la production aliénée. L’homme et la nature ne sont pas des entités opposées de toute éternité. La reconnaissance du caractère historique de cette opposition est le premier pas dans la voie de sa suppression. Mais masquer l’opposition est la même chose que l’éterniser.