Page:Marx - Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure.djvu/90

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Pour cela, la science doit comprendre que la reproduction du concret par la pensée n’est pas indépendante et transcendante (comme une divinité), mais qu’elle est au sens propre une production, une transformation réglée de la représentation en concept. Cette transformation s’effectue selon le modèle général de la PRODUCTION que nous avons vu ouvrir le champ du dépassement de la philosophie. Comme production, cette transformation diffère de toute transposition et de toute élucidation-traduction. Elle ne découvre pas son objet mais le produit.

Pour la conscience (et la conscience philosophique est ainsi faite) la pensée qui conçoit, c’est l’homme réel, et le réel, c’est le monde une fois conçu comme tel ; le mouvement des catégories lui apparaît comme le véritable acte de production (lequel, c’est bien ennuyeux, ne reçoit d’impulsion que du dehors) dont le résultat est le monde ; c’est exact — mais ce n’est qu’une autre tautologie dans la mesure où la totalité concrète en tant que totalité pensée, concret pensé, est en fait un produit de la pensée, de l’acte de concevoir ; il n’est donc nullement le produit du concept qui s’engendrerait lui-même, qui penserait en dehors et au-dessus de la perception et de la représentation, mais un produit de l’élaboration des perceptions et des représentations en concepts. La tota-

    pratique théorique, produite par Althusser dans Pour Marx (éd. Maspero, coll. Théorie) : ni création de sens, ni lecture d’un sens, mais production d’un sens par transformation du visible (ou du lisible).

    Ainsi, dans le texte de Marx, le concret est-il ce qui peut se voir, s’étudier. Mais le procès de la science est celui de la pensée : il vise ce concret comme résultat produit à partir de l’abstrait. Cet abstrait est pour Hegel l’universel abstrait (car jamais Hegel ne s’attache vraiment au réel qui s’offre à l’observation). Pour Marx, c’est l’aspect général de la totalité vue (observée), c’est-à-dire la première généralisation des faits observés, faits dont il faudra produire les déterminations spécifiques. L’investigation, après s’être approprié sa matière (les faits), effectue un travail d’analyse aboutissant à la détermination d’une structure de catégories simples et «abstraites». Ces catégories sont transformées ensuite en vue de l’obtention du tout complexe et articulé qui constitue le concret-pensé. C’est ce dernier mouvement que Hegel a correctement décrit. Sur ce difficile problème, on consultera l’article clair et précis de R. Araud. Actes du 14e Congrès des sociétés de philosophies de langue française. P.U.F., 1969.