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Page:Mary - Roger-la-Honte, 1887.djvu/14

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– Tu n’as pas froid ? Tu ne t’endors pas ?

– Oh ! non, mère ! il fait si bon, et je voudrais tant voir petit père !

Dans la maison d’en face, devant les fenêtres, un homme de moyenne taille venait de passer et s’asseyait à son secrétaire qu’il ouvrait. On le voyait distinctement et Henriette et Suzanne le regardaient. C’était le locataire, le père Larouette.

– Notre nouveau voisin est rentré, dit la petite.

L’homme avait tiré de sa redingote un portefeuille gonflé, l’avait vidé et éparpillait devant lui les liasses de billets de banque, des rouleaux de louis, une fortune qu’il se mit à ranger méthodiquement, comptant et recomptant avec un plaisir visible.

Henriette et Suzanne le voyaient de profil ; et, tel qu’il était placé, Larouette tournait le dos à la porte d’entrée de sa chambre.

– Qu’est-ce qu’il fait, notre voisin ? interrogea Suzanne.

– Il compte de l’argent qu’il vient de recevoir, sans doute.

On entendit le premier quart de onze heures, au carillon de l’église.

Henriette se pencha sur sa fille, et l’embrassa au front, longuement.

– Je vais appeler Victoire pour qu’elle te déshabille et te couche, dit-elle.

– Oh ! mère, encore un instant… Papa ne peut tarder…

– Non, mignonne, il se fait tard… Tu serais fatiguée.

Et la jeune femme appuya sur le bouton d’une sonnette électrique communiquant avec l’office et se remit au balcon.

Suzanne regardait dans la rue, le plus loin qu’elle pouvait voir.

Victoire entra.

– Allumez une lampe et la veilleuse, dit Henriette, puis vous prendrez Suzanne.

Au même instant, la fillette se penchait en dehors du balcon en battant des mains, riant et appelant, dans un cri de joie :

– Père ! père ! nous t’attendons… Je ne suis pas couchée !…

Un homme, en effet, remontait la rue, à quelques pas de là. Il était de haute stature, coiffé d’un chapeau gris clair et vêtu d’un pardessus d’été également gris, avec une pèlerine sur les épaules.