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Page:Mary - Roger-la-Honte, 1887.djvu/21

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tout à l’heure dans la lutte avec la victime, Roger l’a posé près de lui !… Cette brune figure à barbe noire épaisse, un instant entrevue, elle est là, tout près, c’est la figure de Roger.

Elle a tout distingué de l’assassin, en un de ces coups d’œil d’agonisant qui embrassent les plus infimes détails… Roger a encore le pardessus d’été de couleur pâle, avec une pèlerine sur les épaules, qu’il avait tout à l’heure quand il est entré chez Larouette… un pardessus bien visible dans la nuit…

Et le visage de Laroque est bouleversé ; son œil est fixe… la barbe est broussailleuse et en désordre…

Il a trente ans. En cet instant, on lui en donnerait cinquante. Et, détail atroce, près de lui un revolver, à portée de sa main… Un revolver de très petit calibre… l’arme qui a servi à triompher des dernières convulsions de Larouette.

Et la lampe éclaire tout cela, doucement, dans cet intérieur calme, au milieu des choses qui rappellent tant de joies intimes.

Henriette regarde, boit goutte à goutte ce mortel breuvage. Et, tout à coup, elle sent sur ses doigts entrelacés, une froide figure tremblante… elle baisse les yeux… C’est Suzanne qui ne dormait pas… qui vient de se lever… et qui, elle aussi, regarde. Accroupies derrière le piano, la tête penchée, immobiles et sans souffle, elles ne perdent rien de ce que fait Laroque.

Celui-ci presse son front de ses mains et tout à coup se lève. Il se met à marcher de long en large, dans sa chambre. Sa démarche est incertaine et chancelante, comme s’il était ivre. Souvent même il est obligé de se retenir contre un meuble, comme s’il avait peur de tomber.

Le voilà debout, devant son bureau. Il a la tête inclinée sur la poitrine. Il rêve. Puis ses mains cachent ses yeux… On dirait qu’il pleure… Déjà le remords, sans doute. Ses mains s’abaissent, son bras s’allonge vers le revolver. Il le prend, le manie, le fait jouer. Son regard exprime l’horreur, l’épouvante. Il déboutonne son pardessus, rejette du côté gauche la pèlerine sur son épaule, déboutonne aussi sa redingote et son gilet, écarte ses vêtements, laissant à découvert sa chemise du côté du cœur. Et sa main, sans trembler, appuie sur le cœur le canon du revolver.