Page:Masoin - Nadine, 1914.djvu/58

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Il but la vision du moulin tout entier.
Il voulait dans l’adieu, peut-être le dernier,
En imprimer l’image au fond de sa prunelle.
C’était la cour joyeuse où des mains maternelles
Avaient suivi ses pas à l’aube du chemin,
Où la fontaine bleue écoulait son refrain ;
C’était la grange ouverte où parfumaient les pailles,
L’arôme du fenil, le lierre des murailles ;
Et le chien dans sa niche en le voyant passer
À la hâte et pensif, sans être caressé,
Gémissait tristement en secouant sa chaîne.
Il entendait la roue et la meule prochaine
Aux chants laborieux qu’il n’écouterait plus,
Et devant lui la route aux sapins chevelus
Ébouriffés de neige, allongeait son silence,
La route où les chevaux s’avançaient en cadence
Quand il rentrait les soirs d’étés ou de printemps,
Sous l’ombrage touffu, les suivant en chantant !

Et maintenant c’était l’hiver au linceul pâle !
Toute chose avait froid sous sa robe glaciale
Et il ne savait plus s’il souffrait ou si tout
Soufrait pour lui. Partout le silence, partout
La solitude blanche et la mort souveraine
Qui baisait le matin du froid de son haleine !
Pierre pressa le pas. Il songeait aux doux yeux
De Nadine et l’espoir lui souriait aux cieux.



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