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Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/106

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MES SOUVENIRS

était fini, le public sorti, et il me pria de venir en hâte remercier Lamoureux.

Je le crus ; mais, ô supercherie ! à peine me trouvai-je dans le foyer des musiciens que je fus emporté comme une plume dans les bras de mes confrères que je griffais de mon mieux, car j’avais compris la trahison. Ils me déposèrent sur l’estrade, devant un public encore présent et manifestant, mouchoirs et chapeaux agités.

Je me relevai, bondis comme une balle et disparus furieux !

Mes chers enfants, si je vous ai fait ce tableau, sans doute exagéré, du succès, c’est que les minutes qui suivirent me furent terribles et montrent bien, par leur contraste, l’inanité des choses de ce monde.

Une domestique m’avait cherché toute la soirée, ne sachant où j’étais dans Paris, et elle venait de me découvrir à la porte de la salle des concerts. Il était près de minuit. Elle me dit, les yeux en larmes, de venir voir ma mère très malade.

Ma mère affectionnée habitait alors rue Notre-Dame-de-Lorette. Je lui avais envoyé des places pour elle et ma sœur. J’étais certain qu’elles avaient toutes les deux assisté au concert.

Je sautai dans un fiacre avec cette domestique, et quand j’arrivai sur le palier, ma sœur, les bras étendus, en un cri étouffé, me jeta ces mots : « Maman est morte, à dix heures du soir !… »

Quelles paroles pourraient dire ma profonde douleur à l’annonce de l’horrible malheur qui fondait sur moi ? Il venait obscurcir mes jours au moment où il