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MES SOUVENIRS

« Vous m’excuserez, ajouta-t-elle, si je ne chante pas votre musique. Ce serait de l’audace, devant vous, et cette audace, je ne l’aurai pas ! »

Elle avait à peine prononcé ces quelques paroles que sa voix résonna d’une façon magique, éblouissante, dans l’air de la « Reine de la Nuit », de la Flûte enchantée.

Quelle voix prestigieuse ! Elle allait du sol grave au contre-sol, trois octaves en pleine force et dans le pianissimo !

J’étais émerveillé, stupéfait, subjugué ! Quand des voix semblables se rencontrent, il est heureux qu’elles aient le théâtre pour se manifester ; elles appartiennent au monde, leur domaine. Je dois dire que, avec la rareté de cet organe, j’avais reconnu en la future artiste une intelligence, une flamme, une personnalité qui se reflétaient lumineusement dans son regard admirable. Ces qualités-là sont premières au théâtre.

Je courus, dès le lendemain matin, chez mon éditeur, lui conter l’enthousiasme que j’avais ressenti à l’audition de la veille.

Je trouvai Hartmann préoccupé. « Il s’agit bien, me dit-il, d’une artiste... J’ai à vous parler d’autre chose, à vous demander si, oui ou non, vous voulez faire la musique de ce poème qu’on vient de me remettre. » Et il ajouta : « C’est urgent, car la musique est désirée pour l’époque de l’ouverture de l’Exposition universelle, qui doit avoir lieu dans deux ans, en mai 1889. »

Je pris le manuscrit, et à peine en eus-je parcouru une scène ou deux que je m’écriai, dans un élan de