Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
MES SOUVENIRS

ignoré. Nous allions silencieux. Le seul accompagnement de nos pensées était le murmure des eaux qui couraient le long des routes et dont la fraîcheur venait jusqu’à nous ; parfois, c’était le bruit jaillissant de quelque source qui interrompait le calme de cette luxuriante nature. Les aigles, aussi, descendant de leurs rocs escarpés, « séjour du tonnerre », suivant le mot de Lamartine, venaient nous surprendre, en un vol audacieux, faisant retentir les airs de leurs cris aigus et perçants.

Tout en cheminant, mon esprit travaillait et, au retour, les pages s’accumulaient.

J’étais passionné pour cet ouvrage et je me réjouissais tant, à l’avance, de le faire entendre à Alphonse Daudet, un ami bien cher que j’avais connu alors que nous étions jeunes tous deux !

Si je mets quelque insistance à parler de ce temps-là, c’est que dans ma carrière déjà longue, quatre ouvrages m’ont surtout donné des joies que je qualifierais volontiers d’exquises, dans le travail : Marie-Magdeleine, Werther, Sapho et Thérèse.

Au commencement de septembre de cette même année se place un incident assez comique. L’empereur de Russie était arrivé à Paris. Toute la population, on peut l’affirmer, sans exagération était dehors, pour voir passer le cortège qui se déroulait à travers les boulevards et les avenues. Le monde, que la curiosité avait ainsi attiré, était venu de partout ; l’évaluer à un million de personnes, ainsi disséminées, ne semble pas exagéré.

Nous avions fait comme tout le monde ; nos domestiques étaient sortis également ; notre appartement