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Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/236

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MES SOUVENIRS

redisait notre bonheur ! Ce bonheur d’un moment qui vaut l’éternité !… comme l’a si bien dit le poète, Mme Daniel Lesueur.

L’enveloppante blancheur des prés nous rappelait que nous étions à la veille du 15 août, de cette fête dédiée à la Vierge, que nous chantions dans notre ouvrage.

N’ayant jamais de piano chez moi, et surtout à Égreville, je ne pouvais satisfaire la curiosité de mon cher Léna d’entendre la musique de telle ou telle scène…

Nous nous promenions, vers l’heure des vêpres, dans le voisinage de la vieille et vénérable église ; de loin, on pouvait distinguer les accords de son petit harmonium. Une idée folle traversa ma pensée. « Hein !… si je vous proposais, dis-je à mon ami, chose d’ailleurs irréalisable dans cet endroit sacré, mais à coup sûr bien tentante, d’entrer dans l’église aussitôt que, déserte, elle serait retournée à sa sainte obscurité : si, dis-je, je vous faisais entendre, sur ce petit orgue, des fragments de notre Jongleur de Notre-Dame ? Ne serait-ce pas un moment divin dont l’impression resterait à jamais gravée en nous ?… » Et nous poursuivîmes notre promenade ; l’ombre complaisante des grands arbres protégeait les chemins et les routes contre les morsures d’un soleil trop ardent.

Le lendemain, triste lendemain, nous nous séparâmes.

L’automne qui allait suivre, puis l’hiver, le printemps enfin de l’année suivante, devaient s’écouler sans que, d’aucune part, me vînt l’offre de jouer l’ouvrage.