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MES SOUVENIRS

où j’habitais, pour me rendre au numéro 13 de la rue de la Vieille-Estrapade, derrière le Panthéon.

Quelles merveilleuses leçons je reçus de cet homme, si bon et si savant à la fois ! Aussi, avec quel courage allais-je pédestrement, par la longue route qu’il me fallait suivre, jusqu’au pavillon qu’il habitait et d’où je revenais chaque soir, vers dix heures, tout imprégné, des admirables et doctes conseils qu’il m’avait donnés !

Je faisais la route à pied, ai-je dit. Si je ne prenais pas l’impériale, tout au moins, d’un omnibus, c’était pour mettre de côté, sou par sou, le prix des leçons dont j’aurais à m’acquitter. Il me fallait bien suivre cette méthode ; la grande ombre de Descartes m’en aurait félicité !

Mais voyez la délicatesse de cet homme au cœur bienfaisant. Le jour venu de toucher de moi ce que je lui devais, M. Savard m’annonça qu’il avait un travail à me confier, celui de transcrire pour orchestre symphonique l’accompagnement pour musique militaire de la messe d’Adolphe Adam, — et il ajouta que cette besogne me rapporterait trois cents francs !…

Qui ne le devine ? Moi, je ne le sus que plus tard, M. Savard, avait imaginé ce moyen de ne pas me réclamer d’argent, en me faisant croire que ces trois cents francs représentaient le prix de ses leçons, qu’ils le compensaient, pour me servir d’un terme fort à la mode en ce moment.

À ce maître, à l’âme charmante, admirable, mon cœur dit encore : merci, après tant d’années qu’il n’est plus !