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Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/291

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MES SOUVENIRS
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dant ? Tous les contrastes ne sont-ils pas dans cette même nature ?

Le refroidissement dont je fus atteint ne dura guère, heureusement. Deux jours après, j’avais rebondi ; j’étais plus solide que jamais. J’en profitai pour aller, avec ma femme, toujours avide et curieuse de sites pittoresques, m’égarer dans un parc abandonné, le parc Saint-Roman. Nous étions là, dans la solitude de cette riche et luxuriante nature, dans ces bois d’oliviers laissant voir, à travers leurs petites feuilles d’un vert grisâtre, si tendre et si doux, la mer immuablement bleue, quand j’y trouvai… Quoi ? Je vous le donne en dix, en cent, comme eut fait Mme de Sévigné ! Quand j’y trouvai, mes chers enfants... un chat.

Oui ! c’était un chat, un vrai chat, fort aimable. Me sachant, sans doute, depuis toujours, en amitié avec ses semblables, il m’honora de sa société et ses miaulis insistants et affectueux ne me quittèrent pas. Ce fut pour ce compagnon que j’épanchai mon cœur tout palpitant. N’était-ce pas, en effet, ce jour-là, pendant ces heures d’isolement, que la répétition générale de Roma battait son plein ? Oui, me disais-je, en ce moment Lentulus vient d’arriver ! Ah ! maintenant, c’est Junia ! Voilà Fausta dans les bras de Fabius ! Actuellement, c’est Posthumia se traînant aux pieds des sénateurs cruels !… Car nous avons, nous autres, fait étrange, comme l’intuition du moment exact où se joue telle ou telle scène, une sorte de divination de la division mathématique du temps, appliquée à l’action théâtrale. Nous étions au 14 février. Le soleil de cette splendide journée ne pouvait éclairer que la joie de tous mes beaux artistes !