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Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/308

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MASSENET PAR SES ÉLÈVES

de la vie surtout, le fond de la musique est fait. Ce qui ne se peut dire, c’est avec quelle intensité de couleur et d’émotion il savait, sur ce piano minable, éveiller toute la beauté intime et la beauté plastique d’un chef-d’œuvre; mais il faut avouer que rien ne nous captivait davantage que l’exécution, exceptionnellement consentie, de l’un de ses propres ouvrages. Qui n’a pas entendu par Massenet la musique de Massenet ne sait pas ce que c’est que la musique de Massenet. Les interprètes sont si rares, qui n’en ont pas chargé le trait, au degré, souvent, de la caricature ! Et quelle joie, quand il apportait quelques pages manuscrites de la partition en œuvre ! pages de l’aspect le plus net, le plus sûrement ordonné, mais d’un aspect frémissant, qui avait déjà une grâce expressive : des pages de sa vie vraiment, la date notée au coin, avec le fait, petit ou grand, qui avait été pour lui l’événement du jour. J’entends encore une lecture, inoubliable, de Werther ; et je revois l’expression singulière d’anxiété sur le front du maître, qui certes n’attendait pas un avis de ses élèves, mais guettait le trouble de ce premier public, tout sensible, et trop naïf pour la simulation.

J’ai commencé de comprendre, ce jour-là, que, lorsqu’on reproche à M. Massenet un grand désir de plaire, cette expression péjorative n’est pas exacte. Le yrai désir qui le domine est d’être aimé. Ou, plutôt, c’est un besoin, inquiet jusqu’à la fièvre, d’aimer lui-même éperdument sa création et de la rendre si émouvante que tous l’aiment comme il l’aime, et de toujours chercher celle qui trouvera le plus directement des cœurs prêts à s’ouvrir…