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MES DISCOURS
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la Société des auteurs ont confié la douloureuse mission de glorifier ce haut et noble artiste, alors que j’aurais encore bien plus d’envie de le pleurer. Car elle est profonde notre douleur, à nous surtout, ses disciples, un peu les enfants de son cerveau, ceux auxquels il prodigua ses leçons et ses conseils, nous donnant sans compter le meilleur de lui-même dans cet apprentissage de la langue des sons qu’il parlait si bien. Enseignement doux parfois et vigoureux aussi, où semblait se mêler le miel de Virgile aux saveurs plus âpres du Dante, — heureux alliage dont il devait nous donner plus tard la synthèse dans ce superbe prologue de Françoise de Rimini, tant acclamé aux derniers concerts de l’Opéra.

Sa Muse, d’ailleurs, s’accommodait des modes les plus divers, chantant aussi bien les amours joyeuses d’un tambour-major que les tendres désespoirs d’une Mignon. Elle pouvait s’élever jusqu’aux sombres terreurs d’un drame de Shakespeare, en passant par la grâce attique d’une Psyché ou les rêveries d’une nuit d’été.

Sans doute il n’était pas de ces artistes tumultueux qui font sauter toutes les cordes de la lyre, pythonisses agitées sur des trépieds de flammes, prophétisant dans l’enveloppement des fumées mystérieuses. Mais, dans les arts comme dans la nature, s’il est des torrents fougueux, impatients de toutes les digues, superbes dans leur furie et s’inquiétant peu de porter quelquefois le ravage et la désolation sur les rives approchantes, il s’y trouve aussi des fleuves pleins d’azur qui s’en vont calmes et majestueux, fécondant les plaines qu’ils traversent.