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MES DISCOURS
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voyons-nous s’endormir le Celte enraciné ? Dans les bras d’Homère, pour la plus grande joie de son confrère Henri Weil. Il se met à approfondir le grec, puisqu’il lui fallait toujours apprendre quelque chose, et, comptant avec la chimère, il écrit l’Épopée homérique ! Ce fut, messieurs, sa dernière signature devant l’Eternel, le « Sésame » qui lui ouvrit les portes du paradis.

Il semble que l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres donne à ses membres un véritable brevet de longévité. Henri Weil disparaît à 90 ans, d’Arbois de Jubainville à 83, et voici Léopold Delisle qui nous laisse à 84. À 32 ans, il était déjà des vôtres et vous avez pu célébrer son jubilé, il y a deux années à peine.

On peut dire que sa gloire tint presque entière dans les quatre murs de la Bibliothèque nationale, mais qu’elle les fît éclater de toutes parts par son intensité même.

Et pourtant il arriva qu’après plus d’un demi-siècle passé dans cette chère bibliothèque, illustrée et remplie de ses travaux, il arriva qu’un décret inattendu dans sa rigueur vint lui rappeler qu’il était temps de songer à la retraite, comme s’il était des limites pour la gloire. L’émotion fut grande dans le pays, à la ville et aux champs, sinon à la cour. Car le nom de Léopold Delisle était partout populaire.

Il sortit de la Bibliothèque, le cœur affligé mais le front haut, comme un général sort d’une ville assiégée et courageusement défendue, avec tous les honneurs de la guerre. Il semblait un vainqueur ouvrant les portes de la place à qui voulait la prendre.

Jusqu’au dernier moment il suivit vos séances et