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MES DISCOURS

que vient de perdre l’Académie des Sciences morales et politiques, l’auteur de l’Immortalité humaine et de l’Univers pluralistique, nous donne l’espérance d’une autre vie. On estime qu’il est le plus illustre penseur qu’ait produit l’Amérique depuis Emerson. C’est surtout le Pragmatisme qui établit sa réputation et créa une sorte de religion nouvelle. C’est là qu’il affirmait sa foi spiritualiste dans les termes les plus ardents. Il a poussé la conviction jusqu’à laisser après lui des messages réservés à plusieurs adeptes de la Société de recherches psychiques, leur promettant de communiquer avec eux de « l’au-delà ».

Il n’est donc que temps de retenir sa place là-haut, si on veut pouvoir s’y loger. C’est l’avis de beaucoup d’esprits avisés, et il me souvient, à ce propos, d’une anecdote amusante qui me fut contée par Catulle Mendès, mon grand collaborateur. C’était à l’époque de sa jeunesse, alors qu’il menait une vie difficile, n’ayant que son talent pour subsister. Il était des soirs où il ne savait trop comment dîner, où il lui fallait, comme on dit, serrer d’un cran sa ceinture. Un de ces soirs mornes, il déambulait mélancoliquement sur le boulevard, en compagnie de son ami Villiers de l’Isle-Adam, dont l’escarcelle n’était pas mieux garnie. Mendès, qui avait l’âme forte malgré tout, faisait de son mieux pour réconforter son compagnon particulièrement découragé, et entreprenait de le nourrir de rêves, à défaut d’un menu plus substantiel.

Un peu fiévreux, tout auréolé d’or comme un apôtre, avec des gestes larges enveloppant l’espace, il parlait sous la lune blafarde des temps futurs qui leur