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MES SOUVENIRS

route pour nos visites officielles, nous parcourûmes Paris dans tous les quartiers, là où demeuraient nos patrons.

Ces trois voitures, remplies de jeunes gens, vrais rapins, j’allais dire gamins, que le succès avait grisés et qui étaient comme enivrés des sourires de l’avenir, produisirent un vrai scandale dans les rues.

Presque tous ces messieurs de l’Institut nous firent savoir qu’ils n’étaient pas chez eux. C’était un moyen d’éviter les discours.

M. Hirtoff, le célèbre architecte, qui demeurait rue Lamartine, y mettant moins de façons, cria de sa chambre à son domestique : « Mais dites-leur donc que je n’y suis pas ! »

Nous nous rappelions qu’autrefois les professeurs accompagnaient leurs élèves jusque dans la cour des messageries, rue Notre-Dame-des-Victoires. Il arriva qu’un jour, au moment où la lourde diligence qui contenait les élèves entassés dans la rotonde, dont les places les moins chères étaient aussi celles qui vous exposaient le plus à toutes les poussières de la route, s’ébranlait pour le long voyage de Paris à Rome, l’on entendit M. Couder, le peintre préféré de Louis-Philippe, dire à son élève particulier, avec onction : « Surtout, n’oublie pas ma manière ! » Chère naïveté, cependant bien touchante ! C’est de ce peintre que le roi disait, après lui avoir fait une commande pour le musée de Versailles : « M. Couder me plaît. Il a un dessin correct, une couleur satisfaisante, et il n’est pas cher ! »

Ah ! la bonne et simple époque, où les mots avaient leur valeur et les admirations étaient justes