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MES SOUVENIRS

Le directeur nous fit un jour prévenir qu’Hippolyte Flandrin, l’illustre chef du mouvement religieux dans l’art au dix-neuvième siècle, arrivé de la veille à Rome, avait manifesté le désir de serrer la main aux pensionnaires.

Je ne croyais pas qu’il m’aurait été donné, à quarante-six ans de là, d’évoquer cette même visite dans le discours que je prononcerais comme président de l’Institut et de l’Académie des Beaux-Arts.

« Sur le Pincio même, disais-je dans ce discours, juste en face de l’Académie de France, il est une petite fontaine jaillissante en forme de vasque antique qui, sous un berceau de chéries verts, découpe ses fines arêtes sur les horizons lointains. C’est là que, de retour à Rome, après trente-deux années, un grand artiste, Hippolyte Flandrin, avant d’entrer dans le temple, trempa ses doigts comme en un bénitier et se signa. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les arts attristés, qu’il avait tant ennoblis, prenaient son deuil au moment même où nous nous disposions à aller officiellement le remercier de son geste.

Il habitait place d’Espagne, proche de la Villa Médicis, comme il le désirait.

Ce fut dans l’église Saint-Louis des Français que nous déposâmes sur son cercueil les couronnes faites de lauriers cueillis dans le jardin de la Villa qu’il avait tant aimée, alors qu’il était pensionnaire en compagnie de son musicien chéri, Ambroise Thomas, et qu’à l’apogée de sa gloire il venait de revoir pour la dernière fois…