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Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/77

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MES SOUVENIRS
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Je trouvai cela tout naturel. Qu’étais-je ? Un parfait inconnu.

Comme je rentrais, sans trop de chagrin pourtant, à mon cinquième de la rue Taitbout, ma musique dans la poche, je fus interpellé par un grand jeune homme blond, à la figure intelligente et gracieuse, qui me dit : « Depuis hier, j’ai ouvert un magasin de musique, ici même, boulevard de la Madeleine. Je sais qui vous êtes, et vous offre d’éditer ce que vous voudrez. » C’était Georges Hartmann, mon premier éditeur.

Je n’eus qu’à retirer la main de ma poche, en lui présentant le Poème d’Avril, qui venait de recevoir de si pénibles accueils.

Je ne touchai pas un sou, c’est vrai ; mais combien d’argent, si j’en avais eu, n’aurais-je pas donné pour être édité. Quelques mois après, les amateurs de musique chantaient les fragments de ce poème :


Que l’heure est donc brève
Qu’on passe en aimant !


Ce n’était encore ni l’honneur, ni l’argent, mais, sûrement, un grand encouragement.

Le choléra sévissait à Paris. Je tombai malade, et les voisins n’osaient plus prendre de mes nouvelles. Cependant mon maître, Ambroise Thomas, prévenu de mon mal dangereux, de ma détresse sans secours, me visita dans ma pauvre chambre, accompagné de son docteur, médecin de l’Empereur. Ce mouvement courageux et paternel de mon bien-aimé maître m’émotionna au point que je m’évanouis dans mon lit.