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MES SOUVENIRS
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signé de son nom, m’ouvrirait les portes de l’Opéra.

Séance tenante il me développa les deux sujets suivants : le Preneur de rats et la Fille du roi des Aulnes. Pour ce dernier sujet, le souvenir de Schubert m’épouvanta, et il fut convenu que l’on ferait au directeur de l’Opéra l’offre du Preneur de rats.

Rien n’aboutit pour moi ! Le nom du grand poète fit disparaître dans l’éblouissement de son éclat la pauvre personne du musicien.

Il était dit, cependant, que je ne devais pas rester dans le néant, que je finirais par percer la nue qui obscurcissait ma route.

Un homme, un admirable ami, Duquesnel, alors directeur de l’Odéon, sur les instances de mon éditeur Hartmann, me fit venir dans son cabinet, au théâtre ; il me demanda d’écrire de la musique de scène pour la tragédie antique : Les Érinnyes, de Leconte de Lisle. Il me lut plusieurs scènes de cette tragédie et j’en fus aussitôt enthousiasmé.

Ah ! quelles splendides répétitions ! Dirigées par le célèbre artiste Brindeau, alors régisseur général de l’Odéon, elles étaient présidées par Leconte de Lisle, en personne.

Quelle attitude olympienne que celle du célèbre traducteur d’Homère, de Sophocle, de Théocrite, ces génies des temps passés qu’il semblait égaler ! Quelle admirable physionomie avec ce binocle qui y était comme incrusté et à travers lequel l’œil brillait du plus fulgurant éclat.

Prétendre qu’il n’aimait pas la musique, alors qu’on lui en infligeait pourtant dans cet ouvrage ! Eh bien ! non ! C’est la légende dont on accable tant de poètes.